JULIETTE GRÉCO SI TU T'IMAGINES
Elle s’appelait Juliette Gréco. Avoir été, sans avoir rien accompli, une figure mythique, ce n’est pas sans danger
Juste après la seconde guerre mondiale, quand la jeunesse voulait revivre, danser, passer des nuits blanches et folles, après les années noires de l’Occupation, il y avait, dans le quartier parisien de Saint-Germain-des-Prés, une étrange jeune femme. Elle était quasi mutique, mais dans la rue ou dans la cave du Tabou on ne voyait qu’elle. Elle s’appelait Juliette Gréco. Avoir été, sans avoir rien accompli, une figure mythique, ce n’est pas sans danger. Il faut beaucoup de travail et de courage pour ne pas se perdre et « rester intacte », un de ses mots favoris. De l’obstination aussi, et Juliette Gréco n’en manquait pas.
Elle est devenue une chanteuse inoubliable. Dans sa longue vie, elle a eu des amours, des maris, des amis, une fille, elle a fait du théâtre et du cinéma. Elle aimait la vie, l’insolence et la liberté. Mais une passion a dominé toutes les autres : chanter. Donner tout son sens au « merveilleux mot d’interprète ». Elle a servi les plus beaux textes de la chanson française et les a portés dans le monde entier pendant plus de soixante-cinq ans.
« La liane noire de nos nuits blanches », « la fleur vénéneuse de Saint-Germain-des-Prés » … On a voulu enfermer, dans tous ces clichés, la trop imprévisible Juliette Gréco, donner d’elle une image sombre, alors qu’elle était une femme solaire. Gaieté, humour, lumière, chaleur : c’est tout cela qui l’a amenée, à la fin des années 80, à retourner du côté de Saint-Tropez pour y passer le plus de temps possible, entre deux tournées. Elle a choisi d’y finir sa vie, dans ce qu’elle appelait sa « maison paradis » à Ramatuelle.
Mais c’est tout le Var que Juliette aimait. Elle serait heureuse de se retrouver dans un lieu jadis fréquenté par une femme et une auteure qu’elle célébrait, elle, qui a lu des textes de George Sand (1804-1876) sur France Culture et qui a reçu un diapason d’or pour son disque Juliette Gréco raconte Chopin et George Sand. Si la figure de George Sand est plus spontanément associée à Nohant et au Berry, les côtes de la Méditerranée ne lui étaient pas étrangères. L’auteure de La Mare au diable avait survécu à une fièvre typhoïde en 1860, et avait choisi de venir se reposer à la Seyne-sur-Mer. Ses promenades varoises lui inspireront le roman Tamaris où l’on peut lire cette description :
« Le mistral, qui vient de la vallée du Rhône et qui passe à travers les montagnes, a l’haleine courte, le cri entrecoupé de hoquets qui arrivent comme des décharges d’artillerie. Le vent d’Est, qui passe au pied des alpes de Nice et rase la mer, apporte, au contraire, sur le littoral de Provence des aspirations d’une longueur démesurée, des sanglots d’une douleur inénarrable ».
Josyane Savigneau